dimanche 22 avril 2012

Parlons égalité

Il y a 1 an j'écrivais mon dernier billet. J'en ai mis du temps à revenir, mais tant qu'à attendre je me suis dit qu'un an se serait symbolique. Il y a un an je me réjouissais de l'arrivée du mouvement NPD. Je rêvais d'un Québec dans un Canada meilleur. Je croyais en Jack. Aujourd'hui, un an après, Jack est mort. Au moins, c'est mon deuxième favori qui le remplace, Mulcair. Mais on est loin derrière mon rêve, puisque les conservateurs sont majoritaires. Mais en bonne fan que je suis, j'y crois encore. Je ne baisse pas les bras. Et j'aime voir que Mulcair est prêt à se retrousser les manches. Bon, on aura encore trop de temps à faire avec Harper, mais je me dis que pendant ce temps-là le NPD va se faire une place. Solide. Bref, j'y crois encore.


Mais un an après, je vois aussi ma province se noyer dans le ridicule avec le débat sur les frais de scolarité. Dans l'absurde. Dans l'impensable. Non, je n'exagère pas. Pour moi, la situation dans laquelle nous nous trouvons le 22 avril 2012 tient du ridicule, de l'absurde et c'est impensable qu'on en soit arrivé là. Depuis quand est-ce que la casse, le vandalisme, et les excès de colère passent pour des arguments? Moi, on m'a toujours dit que si quelqu'un te donne un coup de pied, tu ne dois pas lui en donner un en guise de réponse. Je n'entends plus le message. J'entends la bagarre et la violence. J'entends les dollars qui s'accumulent pour payer le nettoyage, les heures supplémentaires des cols bleus et des policiers, les réparations, les retards, la surveillance, et j'en passe. Tout le monde se lance la balle à savoir qui paiera les factures. J'entends mes taxes augmenter. Vous pouvez me traiter d'égoïste, mais il me semble que l'objectif visé était justement une question d'argent. Même si vous gagnez votre point (étudiants ou gouvernement), on n’aura pas fait d'économie cette année... Chacun reste dans sa position, personne ne veut céder. Dans la vie quand on veut que ça marche, on doit faire des compromis. On doit trouver des arguments plus forts que ceux de son opposant si on veut le convaincre. Pas juste crier plus fort que lui...


Je vais juste vous raconter une petite partie de mon histoire. Je ne serai pas longue, mais j'aimerais bien que vous lisiez jusqu'à la fin.


Je suis née dans la partie de la classe moyenne très pauvre. Celle qui a un toit et qui mange trois repas par jour, mais qui n'a rien d'autre que le rêve d'avoir un jour de l'argent pour respirer un peu. J'ai compris très jeune que rien n'était gratuit, et que je devrais me battre toute ma vie pour avoir ce que je veux. Dans une famille monoparentale de cette classe moyenne très pauvre, il n'y a pas d'argent pour l'université. Il y a des dettes. Il y a aussi souvent des problèmes de dépendance qui vous pourrissent la vie et qui vous rappellent tous les jours que c'est dur la vie. Mais moi, je voulais aller à l'université.


Je n'ai eu aucune aide parentale. J'ai eu des prêts et peu de bourses. J'ai travaillé de 20 à 30 heures semaine au CEGEP, au Bacc et au Certificat. C'est 7 ans de ma vie à faire ça, en étudiant à temps plein. C'était pas toujours drôle. C'était plutôt dur. Au 2e cycle, je me suis retrouvée à travailler à temps plein en étudiant à temps partiel. Pour moi, c'était un cadeau du ciel. Pourtant, c'était tout aussi dur. Mais l'être humain est si bien fait que, mon objectif dans la mire, mon corps n'a jamais flanché. Est-ce que j'ai pensé arrêter? Oui, mais je ne me le serais jamais permis. C'était mon passeport pour la liberté que j'allais chercher. Ma chance à moi de ne pas vivre ce que ma mère avait vécu.


Jamais pendant ces 9 ans d'études je ne me suis donné le droit de baisser les bras. Jamais je n'ai eu de doutes sur ma capacité à y arriver, mais j'ai souvent pleuré. J'étais souvent découragée et fatiguée. J'ai eu, des fois, des mauvaises notes. Je n'ai jamais donné mon 110%. Je n'ai pas fini avec la meilleure cote. Je n'ai jamais eu d'argent. J'ai souvent dû être créative pour manger. Je n'ai jamais eu vraiment autre chose que de la misère à joindre les deux bouts.


Si vous me demandez ce que j'en pense vraiment de la gratuité scolaire, ma réponse est que j'en ai rêvé. Je chérissais ce rêve qu'un jour les gens comme moi auraient une meilleure chance de réussir à s'en sortir. Aujourd'hui je réalise que ce rêve a quelque chose de faux. Si j'avais eu plus de prêts et plus de bourses, ou s'il n'y avait pas eu de frais de scolarité mon parcours n'aurait pas été si différent. Parce que ce qui manquait le plus à mon parcours c'est la capacité de ma mère de m'aider. Si sa condition de mère monoparentale sans diplôme vivant en région et malheureuse de sa condition avait été meilleure, la mienne l'aurait été aussi. Si la pauvreté, la violence et l'abus d'alcool n'avaient pas pris place dans notre maison, nos jours auraient été plus heureux. J'ai eu la chance d'avoir une mère aimante, qui aurait tout donné pour sa fille unique. Malgré ses défauts et malgré toutes ses erreurs de parcours, elle m'a toujours encouragée. Elle a cru en moi. Et c'est grâce à elle si j'ai continué. Mais tous ceux qui n'ont pas cette chance, tous ceux qui vivent dans cette classe moyenne trop pauvre et qui ont des parents qui ne valorisent pas l'éducation, qui ne savent pas les aimer, tous ceux qui ne savent pas comment trouver de l'aide et qui vivent dans la violence quotidienne et les abus, c'est ceux-là qui n'iront peut-être pas faire les études dont ils rêvent.


La volonté que l'on a de se dépasser à beaucoup à y voir, mais le milieu dans lequel on vit aussi. L'argent n'a pas autant d'importance. Ne serait-il pas mieux pour nous tous, comme société, de réfléchir à une meilleure façon d'outiller les futurs parents sur les responsabilités qui les attendent? N'avons-nous pas intérêt à ce que les familles les plus démunies reçoivent de l'aide, peu importe la région du Québec dans laquelle ils se trouvent? Et je ne parle pas ici que d'une aide financière, mais d'une aide humaine, d'une épaule, d'un soutien psychologique, d'un support pour la gestion de leur famille, d'un accès aux ressources et aux services sociaux. Je pense que demander la gratuité scolaire est une fausse bonne idée. Miser sur l'amélioration des conditions de vie des familles, et permettre à tous ceux qui naissent de grandir dans un milieu de vie qui les aidera à s'épanouir et à se réaliser c'est choisir le droit de tout un chacun d'exister. Et ça, c'est le passeport pour la liberté, c'est avoir le droit de choisir sa vie. Que les frais de scolarité soient gratuits ou pas.

Essayons pour une fois de réfléchir ensemble à une solution qui durera, pas qu'à un simple pansement. Une solution qui fera de nous un modèle et qui nous permettra de donner une réelle égalité des chances à tous ceux qui naissent et grandissent dans cette province.